Je suis un démon, et j'assiste impuissant à la mise à mort de ma bien-aimée Elea.

Une expression effarée s'ancra sur son pâle visage angélique. Quelques larmes perlèrent à ses yeux si profonds. Je contemplai l'océan naissant dans son regard, cette étendue azur de pureté et d'innocence qui débordait le long de ses joues. Transit, je vis impuissant les genoux tremblants de ma dulcinée se dérober sous son corps brisé par la haine. Immobile, je fixai le poignard qui dépassait de sa poitrine haletante, blanc, étincelant. Le destin avait frappé d'une hargne dévastatrice ma douce Elea, mon tendre amour gisant à mes pieds, secouée de sanglots. Comme soudainement soumis aux loies de la gravité, je me précipitai à son côté et retirai la lame devenue écarlate de son dos. De la plaie béante affluait un liquide grenat et sirupeux, tachant de cet insupportable vermillon la peau d'albâtre de la belle. Tel les flots pourpres du Styx, cette souillure s'écoulait sur le parquet froid d'entre ses délicates lèvres. Ce spectacle d'une cruauté insoutenable brûlait mes yeux énamourés. La pièce s'envola. Seul restait ma colombe, mon amante, presque inerte devant moi ...

Tremblant, je passai mes bras autour de ce corps gracile, et le tournai vers moi. L'ange déchue, entravée par l'étreinte du démon, était si fragile et éphémère... Elle me fixa sous ses yeux mi-clos, pâle, transie de froid. Au prix d'un effort violant, elle leva une main frémissante vers moi. Je prit cette main gelée, tant de fois caressée, et la posa contre ma joue. Je me délectai de cet ultime contact charnel, de cette peau désirée qui avait milles fois effleurer ma peau, mes lèvres, mes cheveux, cette Venus mortelle, cette ironie humaine. Elle frémit. Une toux violente la secoua, et du sang jaïssant de sa bouche m'aspergea le visage, un râle inqualifiable franchissant ces lèvres. Sa respiration sifflait affreusement. Je la berçai doucement, accompagnant sa douleur par des baisers répétés sur son derme. Quelle sombre tragédie que cette âme arrachée à son bien-aimé, extraite à son enveloppe charnelles.

Une larme coula sur la joue de mon aimée, trançant un sillon dans le sang. Mes mains s'accrochèrent à cet être à l'agonie, cette femme aimée et chérie, dans un geste désespéré et pathétique. Elle fut secouée de spasmes violent, et je l’étreins contre mon coeur. Dans un ultime sursaut de douleur, une lueure quitta ses yeux d'un bleu si pâle. Cette lumière enfantine et joueuse s'envola vers d'autres cieux, quittant ce corps mort, cet amas de chaire perdue, froide, inanimée. Je restai immobile, statufié dans une position grotesque, tenant dans mes bras ma colombe brisée, fixant l'ultime larme qui coula le long de sa joue froide, avant de rejoindre la rivière écarlate, naviguant entre ces eaux sombres et funestes. Lentement, comme pour ne briser ce corps désarticulé, j'enfouis ma tête au creux de son sein, les yeux clos, guettant avec un vain espoir les battements organiques d'un coeur vivace. Le néant répondit à mes prières misérables, le silence mortuaire. Le glas funeste retentit dans mon âme, rompant le silence abyssale, le comblant d'une infinie douleur infernale. La peau de ma douce Elea, que je caressais compulsivement, perdit de son éclat, de sa douceur. Ses cheveux ternirent, et ne brillèrent plus à la triste lueur de la lune.

Las, j'eus à accepter le fait que mon amante était partit vers d'autres contrées que les miennes, que l'Achéron ne relâcherait pas sa proie trop tôt arrachée à son véritable foyer, à des bras aimants et aimés, à une âme énamourée. Étreinte par un autre, elle navigue entre les flots pourpres du Styx, étreinte par Thanatos et entravée par ses chaînes. Sa peau ne frémira plus de mes caresses, ses lèvres ne parcourront plus mon corps tout à elle dévoué. Ô cruelle destinée, quelle malédiction efflanquait ses hanches déjà si frêles, rendant ses joues rachitiques et rugueuses. Sa peau violacée dégageait une odeur âpre et écoeurante. L'acerbe amour noyait mon âme dans un flot de sanglots. Je posai ma dulcinée sur le parquet, où, relâchée de mes bras, elle garda une position foetale grotesque. Doucement, ne souhaitant la briser, je l’allongeai convenablement. Par la suite, mon regard quitta la macchabée pour se diriger vers la fenêtre.

Le flambeau de Lucifer était presque éteint, noyée dans le ciel d'encre. Les lueurs nocturnes avaient prit une teinte pourpre, comme en vue de la tragédie qui s'était déroulée ici bas, hors de leur portée. L'astre lunaire brillait de sa lumière douceâtre, baignant la pièce où la barbarie sanglante se mêlait aux rayons d'argents. La beauté du spectacle ne toucha point mes yeux vides, dépourvus de toute raison et dévoués entièrement à ma défunte amante. Mon regard parcouru la salle délabrée, et se posa sur la lame, dont le reflet éclipsait le carmin omniprésent. Je m'empara de l'arme, tremblant de froid et de tristesse. Je me dirigeais vers la fenêtre encrassée, et regarda les premières lueurs de l'aubes. Un corbeau, sur une branche, salua la faucheuse d'un croassement sinistre. Je jetai un ultime regard sur le corps inerte derrière moi, et leva le couteau à la hauteur de ma poitrine. Je ne saluerai plus le soleil. La chaleur de ses rayons dorés ne baigneront plus mon être dans cette douce espérance. Seul le regard de la lune et de ses consoeurs accompagnèrent le geste de désespoir que je fis. La lame s'enfonça dans mon coeur. Le glacial contact me submergea sans que je puisse le raisonner. Nos sangs se mêlèrent, propulsés par mon organe en détresse. L'aigre sensation parcourue mes veines sèches, et je tombai à genoux, comme mon amour précédement. La mort m'accueillit en son sein bienveillant, me libérant des visions affublées à mon esprit malade d'un amour avorté. Je sentit les ailes funestes m'entourer. Le requiem sonna à les oreilles, l'ultime mélodie tragique. Les parques coupèrent le fil du démon. La vie s'acheva dans cet élan d'amour désespéré... le néant...